
Paris vu par le cinéma

"Les Amants du Pont Neuf" de Léos Carax
France, 1991, 2h05, couleur, avec Juliette Binoche, Denis Lavant...
Synopsis
Alex (Denis Lavant) vit à Paris, sur le Pont-Neuf, auprès d'Hans (Klaus Michael Grüber), son vieux compagnon qui l'aide à trouver le sommeil. Leur vie « tranquille » est perturbée par l'arrivée de Michèle (Juliette Binoche). Michèle perd la vue, et Alex découvre l'amour. Ensemble, ils vont vivre, rire, boire, danser au rythme des orchestres parisiens et sous les lumières des commémorations du bicentenaire de la Révolution française.

bicentenaire de la Révolution française. / (telerama.fr)

(lylybye.blogspot.fr)

reconstitué à Lasargues près de Montpellier. / (première.fr)

bicentenaire de la Révolution française. / (telerama.fr)
Analyse d'un extrait vidéo
Nous sommes dans la première moitié du film. Paris fête le Bicentenaire de la Révolution française et les deux amants du Pont-Neuf se sont quelques peu enivrés... La scène a été tournée en décor reconstitué à Lasargues.
Ces deux amants, que tout oppose - Alex, cracheur de feu et Michèle associée symboliquement au cours du film à l'élément eau - vont s'unir dans cette scène en exécutant une danse endiablée sur le Pont-Neuf. Les deux amants se déchainent, devant un ciel zébré par la lumière - resplendissante mais inquiétante - des feux d'artifices. Puis des bribes de musiques en provenance de la ville retentissent et s'entremêlent. Les deux amants s'unissent alors dans une étreinte hargneuse, image qui contraste fortement avec les notes tendres du Beau Danube Bleu de Johann Strauss en fond sonore. Les mots manquent pour décrire ce qui se passe alors : le rendu esthétique de la scène est époustouflant et tout le génie de Carax y est manifesté.
Un pari démesuré... mais un Paris réussi.
Léos Carax nous montre dans son incroyable film la crasse et la misère humaine qui règne sur Paris sans pour autant renier le recours aux stéréotypes (le titre du film par exemple qui suggère que le film serait une comédie romantique). On ne voit pour la plupart du temps jamais de ce Paris que le métro et le Pont-Neuf (ainsi que le Boulevard de Sébastopol au début, un café...) et souvent déserts. Même le jour du bicentenaire de la Révolution française, les deux amants semblent seuls dans la capitale, sur une îlot désert. Le Pont-Neuf se métamorphose en un paquebot à la dérive ; en travaux dans le film, puissante métaphore de ses personnages qui eux aussi se construisent, perdus entre deux rives, cherchant à solidifier leurs bases… Le rendu est cru, certes, mais restent malgré tout esthétique et poétique.
Pour réellement pouvoir camper son personnage avec réalisme, Juliette Binoche a côtoyé pendant quelques temps des clochards parisiens. Elle a dormi dans la rue avec eux, mangé avec eux, s'est vêtu comme eux, fait la manche avec eux… Le tournage des « Amants du Pont-Neuf » reste l’un des plus célèbre du cinéma français non pas pour de bonnes raisons mais pour son caractère chaotique et rocambolesque. Carax n’ayant pas eu les autorisations suffisantes pour tourner pendant trois mois sur le Pont-Neuf, il a dû être contraint à reconstituer le Pont-Neuf à Lasargues près de Montpellier (voir photo). Le budget dépasse alors celui de départ, Denis Lavant se blesse la main en ressemelant une chaussure, des producteurs abandonnent Carax… Et le succès en salle n’est pas celui escompté. Les critiques sont partagés : ils hésitent à affirmer avoir sous leurs yeux une merveille esthétique ou un navet mégalomane. Certains reprocheront à Carax, qui a eu une relation avec Juliette Binoche, de traiter cette dernière avec sadisme dans le film…
La scène finale devait se terminer par la mort des deux protagonistes mais Juliette Binoche demanda à son ancien compagnon de changer cette fin. Les deux amants partent alors de Paris sur une péniche vers un ailleurs que l'on ne connaîtra pas : c'est le dernier plan du film. Juliette Binoche apparaît alors pour la dernière fois dans un film de Carax, avant de partir elle aussi, vers d’autres horizons…